Comment approcher le marché des NFTs - Partie 1 (l'abécédaire)
Deep dive dans le nouveau secteur des cryptos
Il y a des signaux qu’on se veut de ne pas avoir suivis… En 2017, un jeu d’apparence un peu idiot apparait sur la blockchain Ethereum. On peut créer, croiser et collectionner des chats, un peu comme des Pokemons. La tendance prend feu, s’éteint… pour mieux revenir sur le devant de la scène en 2021 : les Cryptokitties les plus rares s’échangent en ce début d’octobre à 250 ETH ($850k).
Avec l’arrivée fin 2020 de plateformes d’achat-vente de seconde main dans les NFT, le secteur a explosé. OpenSea (lien avec referral), qui fait figure d’Ebay du secteur, a dealé $13m d’items, principalement des images en jpeg, sur le premier semestre 2020… et $1.5bn (oui, milliards) sur la même période 2021 !
Est-il trop tard pour se lancer ? Les statistiques nous disent que non, avec environ 300,000 comptes utilisateurs enregistrés sur OpenSea, c’est à dire rien du tout en volume, et encore, beaucoup ont plusieurs comptes.
Un autre élément en faveur de s’y mettre, c’est le nombre de portes quasi illimité s’ouvrant sur des secteurs aussi variés que l’art, l’imagerie médicale, le CRM… pour cette série d’articles, nous ne parlons que des NFTs d’art cependant !
L’abécédaire des NFTs d’art
Pour s’orienter dans la jungle des NFTs, il faut un dictionnaire pour comprendre tous les termes, et une boussole pour s’orienter dans les tendances, je vous propose ceux que j’utilise.
Termes génériques
NFT: non-fungible token, ou jeton immutable. Si les cryptos sont des fungible tokens (un bitcoin ou un ethereum est interchangeable avec tous les autres sans perte de qualité ou de quantité), les NFTs sont non-fongibles, pas interchangeables. Imaginez des objets d’arts mis aux enchères : si vous misez et remportez la dernière veste portée par Elvis, personne d’autre ne l’aura, c’est ainsi. L’aspect unique de chaque NFT, même dans des projets qui tirent à 10,000 exemplaires (voir plus bas) est un driver important de la valeur attribuée au secteur.
Metaverse : c’est l’un des concepts les plus reliés aux NFTs d’art. Pourquoi acheter autant d’images digitales si ce n’est pour les montrer ? A qui ? Et où ? Le Metaverse représente un nouvel espace social, fait de jeux (Sandbox, Axie Infinity), d’espaces virtuels pas très différents d’un Second Life (Decentraland, Cryptovoxel - dont on peut acheter des rues et des quartiers), ainsi que des projets de réalité augmentée les plus poussés comme Oculus. Facebook itself a déclaré investir $50m (en plus de tous les salaires de l’équipe Oculus) pour lancer un morceau du Metaverse. Si tout ça vous semble obscur, c’est normal, tout ce monde est en gestation, mais imaginez que l’objectif est la même chose que Matrix : on se plugge dans une réalité virtuelle, et on y bosse, flirte, shoppe… tout en montrant ses plus beaux atours (avatar en 3D, chaussures digitales, localisation de son “studio” dans les meilleures rues…). Aujourd’hui parler du Metaverse, c’est faire référence un peu à tout ça, il n’y a pas une plateforme dédiée, par contre, côté annonceurs, les premiers Chief Metaverse Officers arrivent pour créer une expérience de marque dans des espaces nouveaux.
Termes liés au réseau
Blockchain: comme les cryptomonnaies, les NFTs résident dans des blockchains. Dans l’immense majorité sur Ethereum, et aussi sur des chaines “challengers” comme Tezos ou Solana. L’avantage, c’est que chaque item est tracé et authentifié à 100%. C’est le fameux certificat d’authenticité qu’on vous remet quand vous achetez un tirage limité ou un objet d’art… sauf qu’il est 1000 fois plus liquide car partagé entre tous les noeuds du réseau en question.
Smart contract: quand on achète ou qu’on vend un NFT, on signe un smart contract, qui va, au choix, créer ou transférer la propriété du NFT. D’autres contracts vont ajouter une surcouche (et des modifications) à vos items déjà collectionnés (c’est le cas des “mutations” de la collection BAYC/MAYC : vous aviez acheté un NFT à l’image d’un singe, et bien celui ci va se transformer en singe mutant si vous activez ce contrat - vendu séparément ou fourni à des VIPs).
Web3: on a parlé longtemps de Web 2.0 pour parler du web social, des jardins fermés de Facebook, des appstores, des communautés… Le principe est celui de l’inscription de chaque user à un service centralisé. Le Web3, c’est l’inverse, il n’y a plus de système centralisé, plus de mots de passe. On acquiert (gratuitement) un porte-monnaie électronique en crypto comme Metamask (qui a donc sa propre adresse Ethereum), et on se connecte aux sites de NFTs pour y faire ses transactions (chaque émetteur ou possesseur de NFT a sa propre adresse Ethereum également). La plateforme d’intermédiation, comme OpenSea dans le cas des NFTs, n’est qu’un pont symbolisant deux adresses (celle du vendeur et celle de l’acheteur), elle ne “possède” rien.
Termes liés à l’échange de NFTs
Gas fees : pour échanger des NFTs, il faut payer le prix affiché (souvent en ETH), et du “gas”, qui représente le cout de la transaction proposé par le réseau Ethereum. La folie des NFTs a fait bondir les prix de ce gas, aujourd’hui il est commun de devoir ajouter l’équivalent de $50-100 par transaction “simple” (acheter, vendre). On trouve le “prix” de ce gas évoqué en gwei, une sous-unité de compte de la cryptomonnaie Ethereum, un peu partout sur Internet. Vous aurez besoin de garder, sur votre wallet, toujours un peu d’ethereum pour payer ces couts.
Mint (et gas wars) : Les NFTs ne tombent pas du ciel… ils sont créés à un moment donné, on parle en VO de “mint” (fondre, si on traduisait littéralement). Pour minter un NFT, il faut avoir accès au contrat correspondant, émis par l’artiste. Aujourd’hui, la plupart des mints sont pris d’assault pour deux raisons : d’abord, car on achète “à la source”, avant tout le monde; ensuite, car le prix est souvent fixe ou très encadré (cas des Dutch auctions). Quand vous vous promenez sur OpenSea, vous n’avez accès qu’au marché secondaire, en général toujours plus cher. La conséquence de ces pics d’activité, ainsi que la complexité technique du processus de mint, c’est malheureusement que le réseau Ethereum congestionne et, en réponse à la hausse de la demande (imaginez 10,000 demandes de transactions qui arrivent au même moment), les gas fees augmentent. J’ai participé récemment à une enchère où le coût des gas fees, à 0.6 eth ($1800) était trois fois supérieur au prix fixe de 0.2 eth du NFT en question.
Dutch auctions : l’un des mécanismes de vente primaire, qui commence par une enchère haute fixée par l’artiste, et qui descend par palier toutes les 5 min, jusqu’à ce que tout le stock soit liquidé. Idem, il m’est arrivé d’entrer sur une Dutch auction où le premier prix “fixe” proposé était de 3 eth ($9000) la pièce… J’ai attendu que le palier descende à 1.5 eth ($4500), mais bien sûr je n’étais plus le seul dans ce cas, et à nouveau, congestion, foire d’empoigne et gas fees qui explosent. Je n’ai au final pas eu l’item (je l’ai acheté en FOMO à 2 fois le prix le quart d’heure suivant, prix qui s’est ensuite vu divisé par 4… une bonne leçon)
Private sales / whitelisting : l’un des mécanismes pour les émetteurs de NFTs de parer aux gas wars, tout en favorisant un début de communauté d’early adopters, c’est de procéder à une vente privée (private sales) ou d’ajouter des acheteurs sur une whitelist. En général, cet accès est conféré à des influenceurs (qui vont parler du projet sur leurs canaux), des VIPs (de plus en plus de célébrités US supportent les NFTs, de Paris Hilton à Stephen Curry en passant par Snoop Dog et même Mike Tyson), et de plus en plus à des propriétaires de collections précédentes. L’un des projets les plus en vus de cette fin d’année, CloneX, est proposé par RTFKT Studios, une entité qui a le soutien financier de A16Z (l’un des tops VCs américains) et qu’on présente souvent comme un “Gucci du digital”. Pour accéder à la private sale de CloneX, il faut… posséder un item RTFKT d’une collection précédente. Le prix de ces “pass” a triplé en un mois (de 4 à 15 eth, soit de $12000 à $45000, voir image ci-dessous), chaque pass permettant de minter trois items de ce nouveau projet très attendu.
Floor : une fois le NFT minté en primaire, on va le retrouver sur une plateforme d’achat-vente secondaire, les plus connues sont OpenSea dont j’ai déjà parlé, ainsi que Rarible, KnownOrigin ou encore SuperRare. Le “floor” est le prix le plus bas demandé par un vendeur, il fait office de référence officieuse de réussite du projet (chaque propriétaire attendant que le floor “monte”, chaque acquéreur qu’il descende). Je trouve de mon côté que le floor est une mauvaise mesure car ce n’est qu’un prix demandé par le vendeur. En réalité la transaction réelle moyenne se situe autour de 20-30% en-dessous du floor. Ce compte dont je vous recommande le suivi met à jour le floor des 200 principaux projets presque tous les jours.
Delist : comment faire monter le floor ? Une possibilité consiste à délister vos collections ! Par défaut, tous vos NFTs sont cherchables sur les plateformes d’achat-vente. Il faut les en retirer à la mano pour qu’ils ne soient plus visibles. Moins d’items, même (ou plus de) demande = les prix augmentent. Si vous achetez pour de la garde de plusieurs années, ce n’est pas idiot de délister.
Termes liés aux communautés NFTs
Rarity : dans tous les projets dits de “pfp” (voir plus bas), l’artiste lance une série de 10,000 items d’un même univers. 10,000 singes, 10,000 robots, 10,000 punks, tous différents. Tous ne se valent pas et il faut regarder de près la rareté du numéro que l’on souhaite acquérir. Certains traits sont plus recherchés que d’autres, et on peut utiliser des sites comme Rarity Tools pour scanner une collection, et savoir à peu près ce que l’on achète. Le secteur des NFT étant encore jeune, je recommande fortement de regarder Rarity Tools, il n’est pas rare de voir des items d’une même série avec une rareté proche, avoir des prix allant du simple au quadruple, on peut donc y faire quelques bons deals.
GMI / NGMI / WAGMI / GM / GN : toute communauté à son jargon, les plus récurrents sont “Gonna Make It”, “Not Gonna Make It”, “We Are Gonna Make It” - signaux de jugement assez similaires à HODL / FOMO des cryptomonnaies. “Good Morning”, “Good Night” font aussi partie des classiques des discussions, à nouveau, l’impression de faire partie d’un nouvel espace est réel.
Discord : c’est la plateforme de discussion et d’organisation des communautés NFTs. Si vous vous sentez débordés sur Facebook ou Whatsapp, et que Twitter vous fait penser à une tempête de messages, alors n’allez pas sur Discord, qui serait le trou noir de votre vie digitale, absorbant votre attention de manière inexorable... Similaire à Slack, Discord offre à chaque groupe un “server” (un groupe), dans lequel on retrouve une multitude de “channels” (des sous-groupes). Les plus actifs ont jusqu’à 200 000 membres, comme le projet Mekaverse (10,000 NFTs de robots à la Goldorak qui vont se battre sur les réseaux sociaux dans quelques jours), les plus petits que j’ai rejoint ont une centaine de membres, en général des collectionneurs d’un même projet (dont on vérifie l’authenticité en demandant un petit coup d’oeil automatique à leurs wallet). Il est absolument impossible de suivre les échanges… mais la réussite d’un projet NFT va dépendre en grande partie de la taille et la qualité de cette communauté, qui va défendre bec et ongles le projet pour continuer à en faire monter le désir, et donc le prix…
NFT Fatigue : les 2-3 premiers jours, on explore. Les deux semaines suivantes, on s’abime la rétine et le portemonnaie à tout vouloir acheter, suivre, anticiper. La troisième semaine, la NFT Fatigue arrive… Les précieux jpeg vous ont donné une tendinite du pouce, vous ont volé de nombreuses heures de sommeil, et même la batterie de votre iPhone fait la gueule. L’intensité et la rapidité du monde des NFTs est impitoyable. Les fortunes se font en quelques jours, un CrypToadz est ainsi passé de 1.5eth à 300eth (presque $1m) en l’espace de 25 jours… on en reparlera dans la seconde partie de cette série dédiée à la stratégie.
Les deux grandes familles de NFTs d’art
Ce Petit Robert s’accompagne utilement de la boussole suivante : il y a un Nord et un Sud à la planète des NFTs d’art. Je pense à titre personnel qu’il faut explorer les deux directions.
PFP (profile pictures) : les clubs privés des NFTs d’arts
En naviguant sur OpenSea, ce qui saute aux yeux, c’est, finalement, à quel point les collections se ressemblent. La majorité des transactions se font sur des projets dits de “pfp”, ou profile pictures. Ceci a deux implications:
Le marché de la profile picture est en train d’exploser. Oui, cette profile picture que vous décidez d’arborer sur votre compte Twitter, LinkedIn, Whatsapp ou autre. A mesure que nous passons plus de temps en ligne, le choix de sa photo de profil devient plus important. Il faut garder en tête que pour la gen Z (né entre 1997 et 2010 - première génération digital native), et probablement pour la génération alpha qui la suit à partir de 2010, l’identité se révèle de plus en plus par nos comportements digitaux, plus que par l’achat d’une marque de mode. On achetait déjà quelques skins additionnels dans les jeux console ou portable… désormais, on affiche beaucoup plus grâce à une pfp.
Chaque collection pfp est une tribue à part entière, avec un nombre de participants forcément limités… Les Cryptopunks de 2017 ou les Bored Apes YC de 2021 n’ont que 10,000 membres. En fonction de ce que l’on veut montrer de son attitude, on achètera tel ou tel pfp (rare, commun) de telle ou telle collection. Un exemple : la collection World of Women qui comprend 10,000 oeuvres uniques représentant des femmes de toutes les couleurs, est un moyen d’afficher son soutien à la cause des femmes dans le monde.
Mise en garde : le secteur des pfp va *très* vite, les hausses et les baisses sont fulgurantes, et il n’est pas aisé de trouver les bons projets… Ma reco serait de s’en tenir aux plus établis (CryptoPunks, BAYC, World of Women, Cool Cats), et de laisser tomber les autres. Pour autant, le secteur des pfp est amené à bondir encore plus, Twitter mais aussi TikTok se sont lancé sur ce marché assez naturel pour eux de l’identité digitale vérifiée (par la blockchain).
1/1 : les pièces uniques des NFTs d’arts
Si l’on quitte le “High Street” des NFTs et qu’on s’aventure dans les petites rues, on trouvera l’inverse des pfps: les “1/1” ou pièces uniques. Celles-ci se trouvent moins souvent sur OpenSea, et plus souvent sur d’autres marketplaces comme KnownOrigin ou Rarible - que je n’ai pas encore explorées à fond.
Les mécanismes d’identification, valorisation et sortie sont très différents : on trouve dans les 1/1 aussi bien les têtes de point du crypto-art comme Beeple (dont l’oeuvre ci-dessous a été vendue près de $69m aux enchères), que de nouvelles générations d’artistes qui vendent nativement en digital avec les NFTs.
La stratégie dans le cas des 1/1 est plus proche de celle d’un collectionneur d’art à l’ancienne, il faut plus de temps pour bien comprendre qui sort du lot, collectionner de nombreuses pièces (quelques centaines, pour avoir un portfolio large), et suivre les bons artistes.
Pour conclure cette première partie introductive, je suggère aux curieux de se créer un wallet (MetaMask), de naviguer sur OpenSea, de télécharger Discord et de suivre quelques projets pour se faire une première idée.
Un conseil pour finir : les NFTs me font beaucoup penser à d’autres assets comme l’immo ou les stocks. Il faut apprendre à ne pas sauter sur une “bonne affaire”, car il y en a toujours une meilleure un peu plus loin.
Bonne chasse et à bientôt pour la seconde partie sur les stratégies !